Boosté par les taux bas, le marché français du crédit immobilier présente des signes de surchauffe, qui ont amené les pouvoirs publics à demander aux banques de freiner un peu. Qui sont les emprunteurs qui risquent d’en pâtir ?

C’est ce qu’on appelle un retour de bâton. Très dynamique depuis plusieurs années, le marché français du crédit immobilier s’est encore emballé en 2019. Selon les chiffres dévoilés récemment par l’Observatoire Crédit Logement/CSA, la production de nouveaux crédits a augmenté, par rapport à 2018, de près de 10% en volume et de plus de 5% en nombre de prêts. Le nombre d’achats dans l’ancien a, lui, largement dépassé le million.

Cette forte activité s’explique évidemment par l’effet d’aubaine créé par la faiblesse historique des taux des crédits à l’habitat, qui ont atteint au 4e trimestre 2019 un nouveau plus bas : 1,13% en moyenne, selon l’Observatoire Crédit Logement/CSA. Mais aussi par l’attitude des banques, qui ont choisi d’accompagner cette forte demande, parfois au prix de quelques compromis avec les règles traditionnelles d’octroi.

Le « coup de pression » de Bercy

Sont-elles allées trop loin ? C’est ce que semblent considérer les pouvoirs publics. Le 12 décembre dernier, le Haut conseil de stabilité financière (HCSF), l'autorité chargée de veiller à l’équilibre global du système financier, a cru bon d’adopter un plan d’action « visant à préserver des pratiques saines à même d’assurer la résilience du modèle français de financement de l’habitat ». En clair, un rappel à l’ordre, à destination des banques françaises, afin qu’elles appliquent plus strictement certaines « bonnes pratiques » : celles, notamment, qui consistent à limiter à 33% de leurs revenus nets mensuels le montant des mensualités supportées par les emprunteurs, et à 25 ans la durée de remboursement de leur crédit immobilier.

Certains indices montrent en effet que les banques ont eu tendance à assouplir ces critères l’an dernier. Toujours selon l’Observatoire Crédit Logement/CSA, la part des prêts dont la durée de remboursement est comprise entre 25 et 30 ans a augmenté l’an passé, pour atteindre 39,8% des nouveaux crédits accordés au 4e trimestre 2019, contre 33,8% en 2018 et… 23% il y a 10 ans. Dans le même temps, le seuil des 33% de taux d’effort a été régulièrement dépassé : dans 20% des crédits accordés l’an dernier, estime Michel Mouillart, professeur d’économie à l’origine de l’Observatoire Crédit Logement/CSA. Soit pour environ 250 000 ménages.

Les ménages jeunes et modestes en première ligne

Qui sont ces ménages ? Pour l’essentiel, des ménages jeunes et/ou modestes, avec un apport personnel faible ou inexistant. Des profils qui, en temps normal, auraient eu toutes les peines du monde à trouver un financement. Mais qui ont su être opportunistes, l’an dernier, en profitant des « largesses » des banques.

Ce sont ces profils qui risquent d’être les premiers à pâtir d'un « tour de vis ». Michel Mouillart a ainsi estimé à 100 000 le nombre de ménages qui pourraient se retrouver exclus du crédit immobilier en 2020 si les banques venaient à appliquer strictement la « règle » des 33%.

Certains courtiers ont également tiré la sonnette d’alarme. « Il est (...) évident que les mesures du HCSF vont contraindre les banques à être beaucoup plus strictes et ce sont les emprunteurs les plus faibles, c'est-à-dire les jeunes qui vont les subir de plein fouet, prévient Maël Bernier, porte-parole de Meilleurtaux. Aujourd'hui, ceux qui empruntent sur 25 ans et plus sont principalement les ménages qui accèdent pour la première fois à la propriété, qui ont peu d'épargne et surtout peu d'apport, et qui devront donc puiser dans leur épargne personnelle quand il y en a ou faire appel à la solidarité familiale quand cela est possible. Le nombre d'emprunteurs issu de cette catégorie va donc irrémédiablement baisser. » Même son de cloche du côté d’un autre courtier spécialisé, VousFinancer, qui a déjà constaté, début janvier, que le « nombre de banques acceptant de financer des emprunteurs au Smic a diminué car certaines ne veulent plus financer des prêts inférieurs à 150 000 ou 200 000 euros. »

Pas d’exclusion de masse, selon la Banque de France

Le chiffre de 100 000 « exclus » du crédit en 2020 a fait réagir la Banque de France et l’ACPR, régulateur du secteur. Dans un communiqué publié lundi 3 février, elles affirment que « certains chiffres qui circulent du côté des banques n'ont aucun fondement », indiquant que « l’accès au crédit immobilier [serait] maintenu, sans le moindre doute ».

Lire aussi : Pas de risque d'exclusion en masse, promet la Banque de France

Les deux institutions rappellent notamment que le HCSF a pris soin de prévoir des exceptions à l’application des bonnes pratiques déjà évoquées. Les banques peuvent ainsi « s’écarter du strict respect de ces critères », mais pour un maximum de 15% de la production de nouveaux crédits immobiliers, dont les « 3/4 réservés exclusivement aux primo-accédants et aux acquéreurs de leur résidence principale, dans la limite d’un endettement inférieur à sept années de revenus ».

Des profils d’emprunteurs également bloqués par le taux d’usure

Les ménages modestes ne sont pas les seules victimes collatérales potentielles de la baisse des taux. C’est aussi le cas de certains candidats aux crédits à profils atypiques. Dans leur cas, ce ne sont pas les restrictions du HCSF qui posent problème, mais le taux d’usure. C’est-à-dire le taux effectif global (TEG) maximum que les banques sont autorisées à pratiquer, selon la catégorie de crédits.

Pour fixer ces seuils, la Banque de France s'appuie sur la réalité du marché. Elle calcule les taux moyens effectivement pratiqués par les banques au cours du trimestre précédent, puis les augmente d’un tiers. Exemple : le taux moyen pratiqué au 4e trimestre 2019 pour les prêts immobiliers à taux fixe sur 20 ans et plus était de 1,96%. Le taux d’usure actuel pour ce type de prêt est donc de 2,61%, tous frais et assurance de prêt compris.

Pour le commun des mortels, ce n’est pas un frein : la plupart des emprunteurs peuvent prétendre actuellement à des taux bien inférieurs. Cela le devient en revanche pour certains emprunteurs qui, parce que leur profil est plus risqué pour les banques, payent plus cher leur assurance emprunteur. C’est le cas notamment de trois catégories d’emprunteurs : les seniors, les personnes ayant des problèmes de santé et celles qui pratiquent des métiers à risque.

« C’est un cercle vicieux », déplore un courtier sous couvert d’anonymat. « Plus les taux baissent, plus les seuils de l’usure baissent et plus il y a de gens exclus du crédit ». Un problème qui n’est pas nouveau, mais qui devient plus aigu, trimestre après trimestre.